Ce retable du 15ème siècle produit un choc par les éléments symboliques très particuliers qu'il contient et qui se retrouvent dans les enseignements rosicruciens.
"Jaume Huguet", son auteur est un peintre important pour la Catalogne. Il fait la jonction entre le style médiéval (voir les jambes frêles des personnages), l'école flamande (carrelages et points de fuite) et l'inspiration catalane (doré, rouge et noir). On apprécie un petit clin d'oeil du peintre qui préférait remonter la taille de son personnage de droite pour ne pas gâcher l'harmonie du paysage... Cet humour discret se retrouve aussi dans les peintures de Spencer Lewis ou de Nicolas Roerich.
Bien sur, la complémentarité des personnages saute aux yeux... Ne songeons nous pas à un couple homosexuel? L'un domine en rouge et l'autre en noir. Une épée est vers le haut (elle est même plantée avec humour dans le plafond) tandis que l'autre est dirigée vers le sol. Il y a un message bien particulier... et ce n'est pas par hasard si l'auteur s'est amusé à colorier les deux tours du château que l'on voit au centre dans le lointain, l'une en rouge et l'autre en noir... Le message est bien là pour être décodé!
Quelques élément supplémentaires pour apprécier le contexte:
Pourquoi ces 3 couleurs pour la Catalogne?
Il existe une légende plus ou moins historique qui relie Charles le Chauve (le petit fils de Charlemagne qui hérita de la Gaule) et le comte Guifré el Pélos (878-897) qui le soutenait. el Pélos, c'est le velu. C'est donc l'association du Chauve et du Velu... Dans un combat contre les Normands (détail curieux), Guifré fut blessé. Charles trempa sa main dans son sang et fit 4 bandes rouge sur un bouclier doré... qui sont restés, symbole du courage de la Catalogne.
Et le noir, c'est la couleur d'un âne caractéristique qui vit là bas, alors que la Catalogne a précisément la forme allongée d'une tête d'âne, avec le front de l'âne constitué par le département des Pyrenées Orientales. A ne pas confondre avec le reste de l'Espagne qui a la forme d'un taureau.
Qui sont Abdon et Selem?
Selon les versions, ce sont 2 nobles, ou deux vice-rois qui vivaient au 3ème siècle après JC et qui ont préféré mourir plutôt que d'abjurer leur foi chrétienne. Mais cela n'explique pas pourquoi Huguet a t-il tant insisté sur l'aspect gemellaire des deux personnages?
Il semble que les reliques des saints Abdon et Sennen soient à Arles sur Tech en Catalogne. Mais elles furent exposées à Soissons, dans le monastère de saint Médard, et brûlées par les Huguenots. Toutefois la ville de Florence les détient aussi, et ce depuis l'an 370. San-Marco de Venise semble les détenir également depuis le pape Grégoire IV au 9ème siècle...
Voragine ("la légende dorée" écrite au 13ème siècle qui constitue la référence habituelle pour les représentations de l'iconographie chrétienne):
« Abdon et Sennen souffrirent le martyr sous l'empereur Dèce, car cet empereur, puissant à Babylone et dans d'autres provinces, y trouva des chrétiens qu'il ramena avec lui à Cordoue, où il les fit périr dans divers supplices. Et deux princes du pays, Abdon et Sennen, recueillirent les corps de ces martyrs et les ensevelirent avec honneur. Décius les envoya à Rome chargés de chaînes, et ils furent amenés devant le sénat et devant l'empereur, et on leur dit que s'ils voulaient sacrifier, on leur rendrait leurs Etats, sinon, qu'ils seraient livrés aux bêtes.Ils restèrent fermes, et ils crachèrent au visage des idoles ; et on les conduisit au cirque, où l'on lâcha deux lions et quatre ours. Et ces animaux ne leur firent aucun mal ; au contraire, ils se mirent à les protéger. Alors on perça les martyrs à coups d'épée, et, après leur avoir lié les pieds, on les traîna et on les jeta près du temple du Soleil. Et, après qu'ils y eurent demeuré trois jours, le sous-diacre Quirin les recueillit et les ensevelit dans sa maison. Ils souffrirent vers l'an du Seigneur deux cent cinquante-trois. Au temps de Constantin, il fut révélé où étaient leur corps, et ils furent transportés dans la ville de Pontien, où le Seigneur confère, par leur ministère, de grandes grâces au peuple. »
la légende d'Arnulphe
Arles-sur-Tech était en proie à la fois à la peste, à des catastrophes et à des animaux féroces appelés "simiots" représentés parfois par des singes monstrueux (en catalan simi = singe)...
Afin d'en finir avec cette série de catastrophes, l'abbé Arnulphe décide de partir pour Rome, et d'y obtenir quelque secours du pape. La suite nous est racontée par Prosper Mérimée (Notes d'un voyage dans le Midi de la France, 1835) :
"Un saint homme nommé Arnulphe, résolut d'aller chercher des reliques à Rome pour guérir l'épidémie et chasser les animaux féroces. Pendant longtemps ce fut l'unique remède dans toutes les calamités. Arrivé à Rome, Arnulphe exposa au Saint-Père la misère de ses concitoyens et lui présenta sa requête. Le pape, touché de compassion, l'accueillit avec bonté, et lui permit de choisir parrni les reliques conservées à Rome, exceptant toutefois celles de saint Pierre et d 'un certain nombre de saints, dont il eût été imprudent de se dessaisir.
Arnulphe était embarrassé pour se décider, après avoir passé tout un jour en prières, il s'endormit et eut un songe dans lequel deux jeunes hommes lui apparurent: « Nous sornmes, dirent-ils, Abdon et Sennen, saints tous deux. De notre vivant, nous étions princes. La Perse est notre patrie. Nous avons été martyrisés à Rome, et nos corps sont enterrés en tel lieu ; exhume-les et porte-les dans ton pays, ils feront cesser les maux qui l'affligent. »
Le lendemain, Arnulphe, accompagné d'une grande foule du peuple, et suivi de travailleurs pourvus d'instruments convenables, fit fouiller l'endroit indiqué. On trouva bientôt les corps des deux jeunes gens, parfaitement conservés, reconnaissables pour saints à l'odeur. Il les exhuma en grande pompe, et se disposa à les emporter. Arnulphe était un homme prudent ; il pensa que, pendant le long voyage qu'il avait à faire pour retourner dans son pays, il pouvait trouver bien des gens qui voudraient s'approprier le trésor qu'il portait, car on se faisait peu de scrupule alors de s'emparer, même par force, des reliques de vertus bien constatées. Pour détourner les soupçons, il mit ses saints dans un tonneau enfermé dans un autre beaucoup plus grand, qu'il remplit d'eau. Dès qu'il fut en mer, les rnatelots firent un trou au tonneau, croyant qu'il contenait du vin ; mais, s'étant aperçus qu'il n'y avait que de l'eau, ils ne poussèrent pas plus loin leurs recherches. Je passe rapidement sur les evenements du voyage, tempêtes apaisées, vents favorables et le reste. Arnulphe, débarque à Reuss avec ses reliques en double futaille, entendit toutes les cloches sonner d'elles-mêmes et se garda bien d'expliquer la cause de la merveille.
Le chemin de Reuss à Arles était alors extrêmement mauvais et pratiquable seulement pour les mulets. Le tonneau est donc chargé sur un mulet, et le saint homme, avec un guide, se met en route. Dans un sentier dangereux, bordé d'affreux précipices, le muletier, homme grossier et brutal, crut qu'il fallait donner du courage à sa bête et lâche un gros juron. Soudain, le mulet tombe dans le précipice et disparaît. On juge du désespoir d'Arnulphe. Retrouver le mulet était impossible ; retourner à Rome en quête d'autres reliques ne l'était pas moins. Il prit le parti de poursuivre sa route et de rentrer dans sa ville natale. Quelle est sa surprise et sa joie en rentrant à Arles, d'entendre sonner les cloches et de voir, sur la place de l'église, tout le peuple à genoux entourant le mulet et son tonneau qui avait déjà opéré la guérison des pestiférés et fait déguerpir les lions et autres bêtes féroces.
Arnulphe tira d'abord les saints de leur tonneau et quant à l'eau, il la versa bonnement dans un tombeau vide pour s'en débarrasser, où un lépreux, qui vint s'y laver fut gueri dans l'instant. D'autres malades vinrent bientôt constater la vertu de cette eau miraculeuse. Avertis de sa propriété, les moines du lieu la renfermèrent avec soin et n'en donnèrent plus que pour de l'argent. Elle coûte encore vingt sous la fiole ; mais on n'en donne pas à tout le monde. Il faut en demander en catalan pour en obtenir, et pour avoir parlé gavache j'ai eu le chagrin d'être refusé. »
Merci Prosper!
D'autres versions disent que c'est le muletier qui aurait volontairement précipité l'âne dans le ravin, et qu'il fut aussitôt frappé de cécité, tandis que l'âne continuait tranquillement son chemin vers la ville. Quant au nom de Reuss, rien à voir avec l'espion Theodor Reuss, il s'agit de Roses, en Catalogne espagnole.
Ce terme de Simiot semble qualifier des hommes un peu trop simiesques sur lesquels un double aspect de l'énergie a un grand pouvoir...
la légende de Rocaberdi:
Les simiots auraient habité le château de Rocaberti, près de La Jonquera. Un jour, un voyageur leur demanda l'hospitalité : comme il avait froid, il soufflait sur ses doigts pour les réchauffer, pratique qui étonna fort les simiots ; puis on lui servit une soupe très chaude, et on le vit souffler sur la soupe pour la refroidir. Devant ces faits contradictoires, les simiots prirent le voyageur pour un sorcier, et ils le jetèrent dehors.
le miracle de la source infinie... enfin, à Arles sur Tech un sarcophage qui, à ce qu'il parait, se remplit tout seul... et qui attire curieux, scientifiques, détracteurs, caméras de télévision, touristes etc.
Les rosicruciens ne manquent pas de remarquer que tout gravite autour de l'énergie double que Spencer Lewis nomme le "noùs", avec les polarités A (vitale) et B (matérielle)... que l'on retrouve stylisée dans la lettre "E" de "l'alphabet secret rosicrucien" et que cette intention se trouve curieusement déjà présente dans toutes ces légende catalanes et dans cette relation mystérieuse entre Abdon et Senen...
Senen porte sa rose croix sur le coeur et Abdon sur le front... dans les deux positions précises que l'on harmonise dans une salutation devant la shékinah.
Il y a d'ailleurs une curieuse petite shekinah triangulaire dont le triangle supérieur se prolonge de chaque côté sur la garde des épées comme pour montrer une harmonie entre les deux forces...
Et puis l'épée d'Abdon se trouve discrètement branchée en haut dans une sorte de triangle céleste...
Bref, nous voyons ici un témoignage d'une connaissance rosicrucienne avancée alors que nous sommes au 15ème siècle... Etrange, non?