La médaille ci-dessus évoque une transmission initiatique constituée de "deux lettres et quelques points", issue de Louis-Claude de Saint Martin.
Les rosicruciens européens francophones qui assument une origine chrétienne sont souvent tentés par "la voie du cœur", et un cheminement "martiniste" qui leur est décrit comme un ésotérisme chrétien inspiré par Louis-Claude de Saint-Martin et son Maître Martines de Pascually.
Naturellement toutes les expériences sont formatrices et le martinisme n'échappe pas à cette règle.
Mais quelques anomalies dans ce cheminement ne peuvent que titiller le chercheur rosicrucien.
- Alors que la démarche rosicrucianisme vise à libèrer le chercheur de toute culpabilité, celle-ci est omniprésente dans le martinisme, marqué par "la chute d'Adam". Dans la tradition héliopolitaine, si Atoum (Adam) devient Ra, il reste cependant Atoum, et il n'y a aucune culpabilité. Dans le martinisme, la culpabilité veut que la "chute" soit compensée par une "réintégration". Cette culpabilité est étrangement ancrée dans l'initiation martiniste: -"A quelle heure infâme t'engages-tu sur le sentier de la réintégration"?
- Dans la démarche rosicrucienne l'accés symbolique au temple intérieur se fait par l'initiation au Premier Degré du Temple. Les degrés néophytes sont destinés à prendre conscience de notre shekinah intérieure au centre du temple, de son rôle, sa forme, sa couleur etc. Le Premier Degré du Temple conduit à une prise de conscience particulière du monde manifesté que le mental de chacun crée. Cela marginalise fortement l'idée d'un "créateur de l'univers". Or, surprise: dans le temple martiniste, ce n'est plus une shekinah qui est au centre du temple mais un autel dont les 3 luminaires, "force, sagesse et beauté" sont précisément dédiés au Grand Architecte de l'Univers.
- Pour le rosicrucien qui intègre la démarche alchimique et son passage symbolique de l'œuvre au noir, puis au blanc et enfin au rouge, le symbolisme martiniste révèle une nouvelle surprise: si le premier degré "associé" est "noir", c'est le deuxième degré, le degré "mystique" qui est rouge et le 3ème degré des "Supérieurs Inconnu" est blanc et incite curieusement à la théurgie...
La théurgie n'est pour les rosicruciens qu'une forme égotique et piégeuse de la prière. Saint-Martin lui-même d'ailleurs, tournait le dos catégoriquement à la théurgie, même sous sa forme angélique. Ayant compris que les anges ne sont que des "créatures incomplètes", il affirmait avec humour: "Les anges, c'est nous qui aurions des choses à leur apprendre..."
C'est d'ailleurs une des curiosités du martinisme: le chercheur découvre assez rapidement que Louis-Claude de Saint-Martin, lui-même, serait farouchement hostile au martinisme!
Et effet, si Saint-Martin dans sa jeunesse fut impressionné par le charisme de Martines de Pascualy, une fois parvenu à l'âge mûr il se détourna de celui qu'il appelait, avec cette fameuse positivité des mystiques rosicruciens, "mon premier maître", expliquant finalement que si Martines de Pascualy lui avait fait prendre conscience des mondes invisibles, il en avait finalement retiré la leçon de tout ce qu'il ne fallait pas faire...
La mise en évidence de ces diverses contradictions conduit à poser la question: "d'où vient le martinisme"?
Il apparait que c'est Gérard Encausse, un occultiste plus connu sous le nom de Papus, qui a créé de toute pièce le martinisme au début du 20ème siècle.
Papus avait reçu une initiation, à l'image de celle que les Maîtres authentiques, une fois précisément libérés de certaines erreurs, peuvent être capable de transmettre. Cette initiation était bien issue, au départ, de Louis-Claude de Saint-Martin, mais un siècle de transmission et divers maillons faibles avaient fait perdre à cette initiation l'essentiel de sa puissance psychique et il ne se communiquait finalement plus que le vague désir d'être un jour réellement initié...
Papus avait également reçu d'Augustin Chaboseau une autre transmission issue de Saint-Martin. Celle-ci était sans doute en meilleur état, de l'avis des spécialistes. Mais le fait est que Papus comme Chaboseau n'en étaient pas satisfaits, au point de rechercher toute leur vie à récupérer une autre souche, russe, celle-là, de l'initiation...
Toujours est-il que Papus estima en avoir suffisamment: il combina son initiation de Saint-Martin avec un héritage de "rituels Elu-Coens", issus de Martines de Pascually et réécrits par Jean Baptiste Vuillermoz. Comme il était "docteur de kabbale", il ajouta quelques fuites de kabbale hébraïque dont il est pourtant notoire que les finesses de cette tradition particulière ne peuvent être intégrées que par des personnes ayant une vraie culture hébraïque et une tournure d'esprit particulière: "des hommes à partir de 40 ans"...
C'est ainsi que naquit le martinisme, ce que Papus, en excellent promoteur, appelait la "voie du cœur"... Un "monopole du cœur" que naturellement les rosicruciens ne manquent jamais de considérer avec suspicion!
Mais ce n'est pas tout... Papus, craignant d'assumer le "karma" du martinisme, voulait que celui-ci disparaisse à sa mort (1916)... Personne ne le suivit: les héritiers n'eurent pas de scrupule à perpétuer cette tradition et à alimenter l'égrégore du martinisme.
Une formulation martiniste met d'ailleurs bien en évidence ce processus egregorique: "celui qui transmet la lumière peut également la retirer". Pour un rosicrucien qui ne recherche que l'éveil intérieur, le processus d'éveil ne peut être qu'irréversible et cette "lumière martiniste" n'est naturellement pas "la Lumière" au sens rosicrucien du terme.
Alors que vient faire le martinisme dans le rosicrucianisme?
Une monographie rosicrucienne de 1946 précise: "En août 1934, à Bruxelles, [...] Chaboseau, avec l'approbation du Conseil suprême, confèra au Dr. H. Spencer Lewis, Imperator de l'Ordre Rosicrucien AMORC pour l'Amérique du Nord et du Sud, le titre de Souverain Légat de l'Ordre Martiniste pour les États-Unis d'Amérique. Le Dr Lewis avait déjà été initié dans les différents rites de l'Ordre à Bruxelles, en Belgique, et à Lausanne, en Suisse." lors du congrès de la Fudosi."
C'est en 1937, soit 3 ans après, que Victor Blanchard adressa à Spencer Lewis la patente correspondante pour la diffusion du Martinisme aux USA. Comme Lewis avait lancé l'Amorc en 1915 et est mort en 1939, il se déduit rapidement que l'intérêt de Spencer Lewis pour le martinisme était marginal, vraisemblablement une curiosité polie...