Mon mari avait trouvé pour nous une chambre avec pension, dans une maison à Center Street, à Brookline. La propriétaire se révéla être une femme très désagréable et, comme Stanley avait toujours vécu en ville, à proximité de son bureau, nous nous mimes en quête d’une autre chambre dans une pension de famille privée.
Les offres furent nombreuses, nous avons finalement choisi une famille vivant à l’angle de Huntington Avenue et de West Newton Street qui avait connu des revers financiers et accueillait des pensionnaires payants.
À cette époque, ce quartier était strictement résidentiel — aucun commerce ne s’y était encore installé.
L’hôte était directeur du Conservatoire de la Nouvelle-Angleterre, son épouse appartenait à la haute société et était active dans différents clubs.
Ils avaient trois fils adultes ; deux étudiaient à l’université tandis que le troisième vivait toujours avec eux.
Il n’y avait qu’un autre résident, le fils d’un pasteur.
Tous m’accueillirent chaleureusement et me présentèrent à leurs amis.
Cela se passait dans les années 1890, une époque très riche en évènements.
Sans le savoir, c’était pour cette période là que j’avais confectionné toutes mes jolies robes.
La belle voix de mon mari contribuait à divertir leurs amis.
La dame passait son temps dans la société et divers clubs.
Elle aimait organiser des déjeuners et des thés, où je m’intégrais à son avantage, et pour mon plaisir aussi, car j’avais un goût naturel pour organiser de telles réceptions.
Grâce à son mari, directeur du Conservatoire, j'ai eu le privilège d'écouter les meilleures musiques du moment et de rencontrer de jeunes femmes talentueuses qui avaient besoin d'un peu de soutien dans leurs activités. Sans le réaliser, je me retrouvai à aider cinq d'entre elles, précisément dans les domaines où je pouvais leur être utile.
La dame donnait des réceptions et des thés réunissant de mille à mille cinq cents personnes, et je pris un grand plaisir à contribuer à la réussite de ces événements.
Une jeune fille, pianiste, venant de ma ville natale, avait obtenu une bourse du Ladies’ Home Journal. Une autre, venant de Montpelier (Vermont), avait une belle voix naturelle et était la plus jolie jeune fille que j’aie jamais vue. Une autre encore venait du Wisconsin et était dotée d’une voix de type Jenny Lind.
Cette jeune fille me causa bien des soucis — l’hôte l’appréciait beaucoup et son épouse était jalouse. Il me fallut faire preuve de beaucoup de tact pour maintenir l’harmonie dans la maison.
Un jour, alors que je déjeunais seule avec le jeune fils du pasteur, je dis : Philip, j’ai toujours voulu avoir de l’argent pour aider les personnes ayant des talents exceptionnels. Il me répondit : Madame Clemens, continuez à vivre comme vous le faites, et vous ferez plus de bien que ce que l’argent peut faire.
N’ayant pas conscience d’agir différemment de n'importe qui en pareilles circonstances, je lui dis :
Que voulez-vous dire, Philip ? Il me répondit que si j'avais pu réaliser ce qu'était cette maison avant mon arrivée, j'aurais compris ce qu'il voulait dire.
Il me confia à quel point les repas avaient été désagréables. Les parents et leur fils en conflit perpétuel. Puis il ajouta que, sans en avoir conscience, ma manière d’être et ma vision de la vie avaient apporté de l’harmonie dans cette maison.
La mère avait besoin de quelqu’un pour l’accompagner partout où elle désirait se rendre, ce qui avait nuit à son fils dont elle était devenue trop dépendante.
Le père, en difficultés financières, avait aussi besoin de soutien, mais le fils n’était pas fiable.
L’ensemble causait des tensions permanentes.
Rapidement, Je m’étais retrouvée entre deux feux. Le père, la mère, et même le fils se confiaient à moi. Mon tact et ma nature désintéressée me sauvèrent de nombreuses situations difficiles.
Le mari montrait une préférence marquée pour la jeune fille à la voix de Jenny Lind, et l’extrême jalousie de son épouse rendait la vie difficile à tous.
L’été suivant, la maison fut transformée en appartements, et rebaptisée The Washington, qui était le prénom du père.
Le temps des travaux j’allai en visite chez ma mère. Nous nous rendîmes toutes deux à Hull pour y séjourner pendant les deux mois les plus chauds de l’été.
A mon retour, à Boston, je découvris notre nouveaux logis.
Trois pièces et une salle de bain nous étaient à présent destinées au quatrième étage, à l’avant du bâtiment. Je les aménageai avec soin, ce dont j’étais très fière et je reçus de nombreux compliments pour le goût dont j’avais fait preuve.
C’était mon premier foyer à Boston et j’y organisai de nombreuses petites réceptions.
J’avais vingt-deux ans.
Stanley chantait à l’église de l’Avent de Brimmer Street, une église épiscopale de haut rang.
Madame Jack Gardner en était membre très dévoué. Elle recevait souvent la chorale et l’organiste chez elle, à Beacon Street. A l’occasion, elle demandait au quatuor — dont mon mari était le soliste — de divertir ses invités.
Il en allait de même pour Madame J. Montgomery Sears, qui fréquentait la même église et vivait dans une magnifique propriété à l’angle d’Arlington et de Commonwealth Avenue.
À mes yeux, Madame J. Montgomery Sears était la plus gracieuse des hôtesses de Boston. Elle était très généreuse, me permettant d’utiliser sa salle de bal pour faire connaître certaines de mes artistes les plus prometteuses.
Mme Gardner fit installer un magnifique autel de marbre blanc dans cette église de Brimmer Street, pour un coût, me semble-t’il, de deux cent cinquante mille dollars. Beaucoup de monde fréquentait cette église dans le simple but d’y entendre le chœur, surtout pendant la saison du Carême.
Stanley aimait inviter certains de ses meilleurs amis à la maison pour un souper, les vendredis et dimanches soirs.
L’organiste, M. Whitney, un homme d’environ soixante ans, originaire de Montpelier, Vermont, aimait particulièrement venir partager ces repas simples.
Avant ces dîners, mon mari et d’autres amis avaient pris l’habitude d’aller au Parker House, et quand Stanley rentrait, ayant bu un peu trop de bière, cela m’attristait.
Je lui suggérai alors, un jour : Stanley, si tu conviais tes amis à la maison pour une collation, je servirai ta bière préférée et préparerai des plats savoureux. Il accepta et fut heureux de d’inviter non seulement l’organiste mais aussi les chanteurs et le jeune pasteur qui, lui aussi, appréciait ces soirées.
Ainsi, avec mes jeunes filles musiciennes, j’organisai de belles rencontres.
Une nuit, certains des musiciens et l’organiste se trouvaient au Parker House pour une collation, quand l’un d’eux prit la parole et demanda : Où est Stanley, ces jours-ci, nous ne le voyons plus, ici ?
M. Whitney, l’organiste, répondit : Oh, cet homme qui a cette charmante petite femme pour épouse ! Les autres musiciens commencèrent à le taquiner. Il leur dit :
Si chacun de vous avait une épouse comme celle de Stanley Clemens, vous ne seriez pas ici à l’heure qu’il est.
L’un des membres du chœur me raconta cet incident. J’avais toujours affirmé que si une femme épousait un homme qui aimait trop l’alcool, elle pourrait le guérir de cette habitude en rendant son foyer plus attrayant – et j’ai prouvé que cela était vrai. Ce Monsieur Whitney, qui venait du Vermont, pensait que j’étais tout à fait à la hauteur.
J’étais considérée comme assez jolie à l’époque. Un jour, alors qu’il savait que je me rendais dans le Vermont, il se trouva dans le même train. Il dit à un ami qui l’accompagnait:
Je mise sur le fait que j’aurai l’occasion de baiser la main de la plus belle jeune femme du train.
Après avoir parcouru les différents wagons, ils me trouvèrent et tout en me serrant la main, il l’embrassa.
Fréquenter cet homme et son cercle pendant un an, me fit réaliser que je ne voudrais pas, à soixante-cinq ans, regarder en arrière et voir ma vie aussi vide que la sienne.
----
- début des Confidences de Marie-Louise
(à suivre..)
Anglais :
I didn’t want to reach sixty-five, look back, and see my life so empty.
Allemand :
Ich wollte mit fünfundsechzig nicht zurückblicken und mein Leben so leer sehen.
Espagnol :
No quería llegar a los sesenta y cinco, mirar atrás y ver mi vida tan vacía.
Italien :
Non volevo arrivare a sessantacinque anni, guardarmi indietro e vedere la mia vita così vuota.
Portugais :
Eu não queria chegar aos sessenta e cinco anos, olhar para trás e ver minha vida tão vazia.
Grec :
Δεν ήθελα να φτάσω στα εξήντα πέντε, να κοιτάξω πίσω και να δω τη ζωή μου τόσο άδεια.