Bien sûr, ils avaient fait de grands préparatifs pour accueillir cette épouse américaine. Je crois bien qu’ils m’ont tout de suite adoptée et aimée. Ils m’ont surnommée leur Petite Reine parce que je ressemblais à la reine Alexandra. Stanley avait trois sœurs célibataires et un jeune frère de seize ans qui m’adorait. Celui-ci aurait bien volontiers passé tout son temps près de moi, prenant plaisir à me poser mille questions uniquement pour m'entendre prononcer des mots comme Amérique et très ou n’importe quel autre mot contenant la lettre r, tant mon accent du Vermont le fascinait.
Naturellement, lorsqu’ils ont découvert ma garde-robe élaborée, ils me jugèrent très extravagante, mais en voyant combien j'étais habile avec une aiguille et appris que j'avais été élevée pour être pragmatique face à tous les problèmes de la vie, ils reconsidérèrent les choses et changèrent d’avis.
Nous devions visiter des parents à travers tout le Devonshire et la Cornouaille. Nous sommes allés à Penzance, Land's End en Cornouaille où nous avons rendu visite à un oncle et sa famille. Ils étaient fermiers et, pour la première fois, j'ai dormi sous un toit de chaume, ce qui, pour moi était totalement nouveau.
Plymouth Hoe, sur l’océan Atlantique, avec sa plage semblable à celles de Nantasket et Revere était à époque l’un des plus beaux endroits de Plymouth. Nous avons parcouru les landes du Devonshire et vu la prison d’où les prisonniers furent libérés pour se réfugier ici, pendant la guerre, entre ce pays et l’Angleterre. Une des sœurs fit cette remarque : C’est d’ici que viennent beaucoup de vos virginiens qui se vantent aujourd’hui d’avoir des ancêtres anglais. Un jour, la sœur aînée, qui était complètement sourde, me dit : Louise, tu es trop gentille pour une américaine. Je lui demandai comment elle imaginait les jeunes femmes américaines, et elle me décrivit alors la manière dont elles étaient représentées chez eux : parlant fort et utilisant un langage vulgaire et grossier. En faisant mes recherches, j’ai découvert qu’il s’agissait de personnes originaires de nos États de l’Ouest, alors peu cultivées — moins qu’aujourd’hui — dont les familles avaient accumulé de grandes richesses. Elles s’étaient rendues en Angleterre et, par leur manque de culture, avaient laissé une impression très défavorable. D’ailleurs, nos propres américains de l’Est ressentaient la même impression à leur égard lorsqu’ils se rendaient chez eux. Cela m’a démontré que nous ne devons jamais juger un pays à partir de quelques personnes rencontrées par hasard. Nous sommes restées là-bas trois semaines et avons été fêtés de toutes les manières possibles. La famille est devenue très fière de moi, et tous ceux qu'elle connaissait ont tenu à me rencontrer.
Lorsque le moment de rentrer arriva, j’étais tout à fait prête. Les deux mois loin de ma mère, dont je m’étais toujours occupée, avaient été longs. Peu importe à quel point je redoutais le voyage en mer – j’avais été malade tout le trajet de l’aller – je voulais être sur le chemin du retour.
Nous avons débarqué à New York. Stanley est rentré à Boston, et je suis rentrée chez moi finir d’emballer mes affaires afin de commencer ma nouvelle vie dans cette grande ville de Boston. Je retrouvai ma mère en bonne santé, mais Mme Eastman, la vieille dame qui occupait le logement du haut, était gravement malade et souffrait d’un cancer de la peau. Je n’en avais pas été surprise, car avant mon départ, elle m’avait confié que, lors d’un examen, on lui avait confirmé ce qu’elle craignait : elle ne serait probablement plus en vie à mon retour. Elle m'aimait plus que personne au monde, me disait-elle souvent. Je restai un certain temps pour m’occuper d’elle. Elle était une seconde épouse et n’avait pas d’enfants à elle. Cependant, l’un des fils de son mari veilla sur elle pendant quelque temps, mais il finit par décéder. Avant sa mort, il avait laissé de l’argent à sa femme afin qu’elle s’occupe de sa belle-mère. Celle-ci vivait dans le New Jersey, je lui fis un courrier lui décrivant l’état dans lequel j’avais trouvé Mme Eastman. Elle vint la chercher – furieuse que la vieille dame n’ait pas été placée à l’hôpital comme elle l’avait ordonné au médecin. Je regrettai de l’avoir faite venir, car Mme Eastman m’avait dit que ce petit logement était l’endroit où elle avait été la plus heureuse et qu’elle espérait y mourir.
J’ai dû aider à la transférer à l’hôpital, démanteler son petit foyer et trouver un nouveau locataire avant de pouvoir revenir à Boston. Elle mourut deux semaines après mon arrivée à Boston.
C’est quelque chose que j’ai toujours regretté. Connaissant sa belle-fille comme une femme sans cœur et égoïste, j’aurais dû prendre soin de Mme Eastman et m’assurer que son souhait soit exaucé. Le médecin m’avait assuré qu’elle vivrait encore quelques mois mais elle vécut seulement deux semaines après mon départ. Elle fut retrouvée morte sur le sol au matin lorsque l’infirmière entra. Ma mère, elle aussi, se sentit très affectée de la triste fin de Mme Eastman. Nous l’avions très bien connue avant d’avoir notre maison, et l’avions ensuite eue comme locataire – toute notre vie était liée à la sienne. Cependant, ces choses doivent arriver et être surmontées.
J’ai réussi à trouver un couple sympathique pour occuper l'ancien logement de notre amie mais ils furent obligés de quitter la ville face à de circonstances imprévues. Mon neveu, Arthur Parisian, qui venait de se marier, arriva en ville et vécut avec ma mère jusqu’à ce qu’elle termine le temps de quatre-vingt-onze ans qui lui était imparti.
Elle m’a appris que le cœur reste toujours jeune, car elle aimait mon neveu comme une jeune fille aime un garçon, et il l’aimait aussi et contribua à rendre ses derniers jours heureux.
----
- début des Confidences de Marie-Louise
(à suivre..)
Anglais :
The heart always remains young.
Allemand :
Das Herz bleibt immer jung.
Espagnol :
El corazón siempre permanece joven.
Italien :
Il cuore resta sempre giovane.
Portugais :
O coração permanece sempre jovem.
Grec :
Η καρδιά μένει πάντα νέα.