J'allais chaque année à Boston m'approvisionner en tenues dernière mode, car je dictais la mode dans la ville où je vivais.
J'avais des amis anglais, les Brown, des gens travaillant pour le chemin de fer, qui avaient déménagé à Boston.
Je logeais toujours chez eux pendant mes séjours là-bas, et c'est là que j'ai rencontré l'homme que je devais épouser.
Mes amis fréquentaient l’église de l’Avent, un service épiscopalien de haut rang, où mon futur mari chantait alors. Il était soliste, car il avait une voix de basse exceptionnelle avec une tessiture de baryton.
Au cours de l’un de ces voyages, la fabrique d’orgues Smith prit feu, elle se trouvait tout près de la maison de mes amis et, alors que les hommes quittaient l’église ce vendredi soir, ils aperçurent les flammes, se rendirent sur place, et vinrent ensuite chez les Brown.
C’est là que Stanley et moi nous sommes rencontrés pour la première fois.
Il se dit en lui-même à la fin de la soirée : Je vais conquérir cette jeune-fille.
Je venais de me faire prendre en photo.
Il en aperçu une sur la cheminée, la prit dans ses mains, l'examina et dit : Par Jupiter, vous êtes sacrément bien, vous savez - une expression typiquement anglaise.
Il me demanda si j’acceptais de lui en donner une, mais je n’en avais pas à offrir.
Notre rencontre suivante eut lieu à l’occasion de la venue de la chorale de l’église de l'Avent à St. Albans.
Il chanta ensuite à notre réunion du Owl Club.
Je l'invitai à dîner, ainsi qu’une autre personne que j'avais rencontrée à Boston.
Je me souviens avoir préparé un gigot d'agneau rôti qu'il avait apprécié.
Stanley m'avait complimentée m’assurant que le repas ressemblait tout à fait un dîner anglais.
A son retour à Boston, il m'écrivit et me demanda d’entretenir une correspondance avec lui, ce que je fis pendant neuf ans.
Je fréquentais d'autres personnes en même temps.
Mais je ne voulais pas quitter ma mère, et de ce fait, je ne me décidais pas à prendre un époux.
J'étais fiancée depuis deux ans et j'avais prévu de me marier l'année suivante lorsque, après avoir assisté à l'Exposition universelle, je tombai malade.
Je refusai alors de quitter ma mère et ma maison avant d’être complètement rétablie.
Stanley vint me voir alors que l’on pensait que j’allais mourir, mais mon cœur était dans un tel état que le médecin ne lui permit pas de me voir, de peur que l’émotion ne soit trop forte pour moi.
Un voisin lui dit : Si Louise se rétablit, elle ne pourra pas se marier avant quelque temps.
Il répondit : J’attendrai cinquante ans s’il le faut.
En repensant à cette période de ma vie, je réalise qu’ayant commencé à travailler si jeune et n’ayant jamais eu, ou pris, de temps pour me détendre, j’étais épuisée, tant physiquement que mentalement.
Il me fallut un an pour retrouver mes forces et raviver mon ambition de continuer dans la couture.
Je compris que cette maladie avait marqué une rupture avec ce que ma vie avait été jusque là.
En fin de compte, cela avait été une période de régénération et de rajeunissement.
Mon ambition de construire un foyer pour ma mère avait été réalisée : la maison avait été achetée, ma mère percevait un revenu grâce au logement du dessus, avait obtenu une pension mensuelle du gouvernement pour mon frère aîné mort dans un hôpital du Sud pendant la guerre de Sécession, ainsi que deux mille dollars d’arriérés de pension, ce qui la rendait indépendante et lui permettait de vivre sans moi.
De mon côté, je disposais de deux mille dollars en banque. Un jour, alors que j’étais en profonde méditation, une voix me dit :
Tu as une mission à accomplir, et tu dois aller vers un champ d’action plus vaste.
Il me serait bien difficile d’expliquer avec précision ce que j’ai ressenti à ce moment-là.
Bien que j’aie accepté de me fiancer et d’épouser un homme admirable, je ne parvenais pas à éprouver l’exaltation que j’avais pu observer chez mes amies dans leurs aventures matrimoniales. Mais j’avais promis, je devais donc continuer.
Un long voyage de noces avait été programmé. Mon futur beau-frère était organiste de Cour à Berlin, et mes futurs beaux-parents vivaient en Angleterre.
J’avais toujours voulu découvrir le monde, et l'occasion m'en était donnée.
J'allais vivre à Boston, où je pourrais commencer une nouvelle vie bien différente de celle que j'avais menée depuis mon enfance.
Alors, avec toutes ces expériences attrayantes qui s'offraient à moi, que pouvais-je faire d'autre sinon rompre avec l'ancien et me lancer dans cette nouvelle aventure ?
Pour une jeune-fille de mon milieu, rencontrer un homme qui pouvait m’offrir une bague en diamant comme symbole de fiançailles et m’emmener à l’étranger était quelque chose d’inhabituel.
Il était rare, en effet, de voyager à l’étranger à cette époque.
Seules les filles de parents fortunés disposaient de ce privilège, et dès lors, cela seul fournissait aux habitants de l’occasion de nombreux commentaires.
Laisser ma mère seule était la difficulté la plus malaisée à résoudre.
Heureusement, elle était en bonne santé, indépendante, et pouvait vivre sans moi.
Nous décidâmes que je viendrais souvent lui rendre visite, ce que je fis tout le long de sa vie.
Je passais avec elle janvier et février, les deux mois d’hiver les plus difficiles, et cinq mois en été.
Je me souviens d’une de mes amies qui m’a dit un jour : Cela ne t’est-il pas odieux de venir ici en été alors que tu pourrais passer de si bons moments au bord de la mer ?
Ma réponse fut celle-ci : C’est là où se trouve mon devoir que je suis la plus heureuse.
Je n’aurais pas pu quitter ma mère si cet arrangement n’avait pas été convenu avant mon mariage.
- début des Confidences de Marie-Louise
(à suivre..)
Anglais : It is where my duty lies that I am the happiest.
Allemand : Dort, wo meine Pflicht liegt, bin ich am glücklichsten.
Espagnol : Es donde está mi deber donde soy más feliz.
Italien : È dove si trova il mio dovere che sono più felice.
Portugais : É onde está o meu dever que sou mais feliz.
Grec : Εκεί που βρίσκεται το καθήκον μου, είμαι πιο ευτυχισμένη.