Nous recevions souvent cent à cent cinquante membres de la Loge et leurs amis lors d’occasions spéciales. Pour mon soixante-quinzième anniversaire, une amie m’offrit soixante-quinze boutons de rose, et, alors que je descendais l’escalier du hall, vêtue d’une robe du soir en dentelle bleu clair, elle m'accueillit à mi-chemin sur le premier palier et me les remit.
Quelqu’un prit une photo que tout le monde trouva admirable, mais un problème survint avec la pellicule, et je ne pus jamais la voir.
Trente-cinq convives étaient venus du New Jersey et de New York pour l'occasion, et nous accueillîmes cent trente personnes pour les rafraîchissements.
À Thanksgiving et à Noël, nous recevions généralement entre douze et dix-huit invités dans notre salle à manger, et je prenais en charge l’essentiel des préparatifs pour ces dîners.
J’étais autrefois une bonne cuisinière prenant plaisir à préparer des repas pour nos amis. Aujourd’hui, à quatre-vingt-neuf ans, privée de l’énergie d’autrefois, je ne puis m’empêcher de me demander d’où me venait cette vigueur qui, dans ma jeunesse, me portait à réaliser tant de choses.
J’ai toujours été une énigme pour les autres, et il en est toujours ainsi aujourd'hui. Les gens me regardent avec émerveillement et admiration quand ils réalisent tout ce que j’ai accomplis. Ceci malgré un handicap sévère, qui perdure depuis ma dernière opération, en 1947.
Mais il y a une force qui en est l'origine, et ceux qui l’utilisent correctement lorsqu’elle leur est donnée en tirent profit. En revanche, le droit d’invoquer cette force doit être mérité par le sacrifice des désirs égoïstes de l’esprit inférieur et de la chair.
En 1936, je me rendis en Californie pour participer à une convention où je devais donner une conférence. J’y séjournai cinq jours, puis allai rendre visite à la famille de mon neveu à Los Angeles, où je restai seulement une semaine, avant de regagner ma maison. En effet, avec trois résidences à gérer et Stanley seul avec seulement un étudiant de l’Université de Boston pour veiller sur lui, mon esprit n'était pas en paix.
Comme chaque été de juillet à septembre la Loge était fermée. Le jeune homme qui occupait le 192 l’avait délaissé pour s'installer dans une maison voisine, m’obligeant ainsi, avant mon départ pour la Californie, à recruter une nouvelle gouvernante.
Ma nièce assura la relève pendant une année, sans toutefois parvenir à en faire un succès. Il me fallut donc, à nouveau, me mettre, en quête de personnel.
Un couple se présenta et tint la maison pendant la même durée, mais l’épouse, peu apte à gérer les locataires, ne parvint pas à répondre aux exigences de sa charge. Je décidai alors de me séparer de la maison et organisai une vente aux enchères des meubles.
Malheureusement, je fus victime d’une escroquerie, n’ayant pu être présente pour veiller sur les opérations dans la salle des ventes et dans les pièces où étaient exposés les tableaux et le petit mobilier.
L’entretien de trois maisons, le règlement des impôts, des assurances et des intérêts hypothécaires m’occupaient pleinement, me contraignant à veiller à ce qu’elles restent louées pour couvrir ces frais. Stanley, toujours sans emploi stable, m’assistait dans la gestion des finances lorsque les fonds et les factures lui étaient confiés.
J'eus la chance de bénéficier d’une assez bonne santé tout le long de ces années.
En juin 1937, le procès impliquant les deux femmes et M. P. se déroula sur plusieurs jours. Ce fut ma seconde expérience dans une affaire judiciaire. Elle ne fut guère agréable, mais elle me permit de mieux comprendre et d’observer les stratagèmes employés par les avocats pour manipuler les lois à leur avantage, ainsi que la manière dont les témoins pouvaient travestir la vérité.
Il fut difficile pour mon avocat de m’amener à lui révéler les raisons pour lesquelles M.P. m’avait cédé la propriété, et ce que j’avais pu accomplir pour qu'il m'en jugeât digne.
C'est seulement au moment où les témoins convoqués par l’avocat de M. P. déposèrent que la vérité fut dévoilée.
Ces derniers, en même temps amis de M.P. et de moi-même, se montrèrent tout d'abord réticents à témoigner, contrariés d’avoir été appelés.
Lorsqu’il fut donc question de savoir pourquoi M.P. m’avait cédé la propriété, les témoins détaillèrent mes nombreuses attentions à son égard, soulignant que j’avais encouragé chaque membre de la Loge à se procurer chez lui essence, fruits, légumes et œufs, tout en veillant sur lui durant deux ans.
Ils agirent bien davantage en ma faveur qu’en celle de la partie adverse. Je ne suis pas de ceux qui se glorifient d’avoir rendu tel ou tel service à autrui. Lorsque je donne, c’est de cœur, puis j’oublie.
Je n’ai jamais agi envers autrui dans l’attente d’une quelconque reconnaissance. Mon cœur a toujours été guidé par le sens du devoir envers ceux que je croise, dans une attitude bienveillante, sans m’interroger sur les raisons de leur présence dans ma vie.
En repensant à ma vie depuis ma petite enfance, et en l'écrivant, je prends conscience d’avoir donné bien davantage que je n’ai reçu. Si je n’avais pas fait preuve d'une telle générosité, ni consenti à prêter sans jamais être remboursée, je n'aurais pas, hier comme aujourd’hui, ouvert ma maison, à des individus, dont beaucoup se sont révélés indignes, comme en témoignent leur usage négligent de mes biens et leur manie de s’approprier de petits objets en guise de souvenirs.
Le procès s’avéra nécessaire pour démontrer à tous qui je suis véritablement. M.P. osa affirmer qu’il ne m’avait jamais légué la propriété, mais face aux lettres qu’il m’avait écrites, produites devant le juge et attestant ce don
il ne put nier qu’il s’agissait de son écriture. Il tenta également, en vain, de contester sa propre signature sur l’acte qu’il avait signé de sa main.
Sans m’attarder davantage sur les détails, le juge me reconnut comme légitime propriétaire de la maison et enjoignit à M.P. de s’acquitter des impôts relatifs à l’argent qu’il m’avait confié durant la période où j'en avais été privée.
Par l’entremise de leur avocat, les deux femmes cherchèrent à m’acheter la propriété pour la somme de 1 500 $. Ayant engagé bien davantage pour la récupérer, je refusai catégoriquement de la leur céder.
Le juge prévint M.P. que s’il persistait à me créer des difficultés, il le placerait dans une situation où il ne pourrait plus jamais nuire à quiconque.
Il déclara encore aux avocats qu’ils n’avaient jamais considéré la question essentielle de l’affaire: Mme Clemens ne pourrait jamais résider en ces lieux.
En effet, celui-ci avait compris dès le début quel genre d’homme était M.P. Son âme avait été éveillée par ma gentillesse envers lui, et c’est pourquoi il m’avait fait don de la propriété.
Les deux femmes, en revanche, avaient réveillé le côté objectif de sa nature, qui était cruel et méchant.
J’ai déjà relaté les événements survenus lors de mon retour sur les lieux après le jugement du tribunal, aussi vais-je à présent clore ce chapitre à propos de cette expérience.
Après une rénovation complète de la maison, ma nièce s'y établit pour l’été 1928.
Au cours de l’hiver 1927-1928, la gouvernante du 196 désira partir s’installer en Californie, m'obligeant ainsi à lui trouver une remplaçante.
Allant à l'encontre de mon intuition, elle me persuada de confier le poste aux parents d’une jeune fille qui y avait vécu, soutenant qu’ils étaient dans le besoin et sans abri.
J’ai dit mon désaccord quant à la présence d’un homme à ce poste, mais elle a néanmoins fait venir cet homme et son épouse pour me rencontrer.
L’homme avait souffert d’une paralysie faciale, ce qui lui laissait la bouche déformée. En entrant, il s’appuya contre l’escalier, le coude posé sur la rampe, et déclara:
J’avais un salaire de 15 000 $ et une assurance de 60 000 $, et je n’ai désormais nulle part où reposer ma tête. Après quelques instants, je répondis:
Eh bien, je vais vous offrir un lieu où poser votre tête, allez-y et faites de votre mieux.
Un jeune homme qui résidait alors chez nous prenait ses repas au 196. Au bout d’environ trois mois, l’homme lui fit observer qu’il y avait sans doute de l’argent à gagner en louant des chambres.
Je me rendais sur place presque tous les matins, et un jour, je fis remarquer qu’il était temps de réduire la consommation de mazout, étant donné que nous étions à la fin avril. Il se tourna vers moi avec colère et déclara: Si vous n’êtes pas satisfaite, vous n’avez qu’à trouver quelqu’un d’autre.
Je me sentis si profondément blessée que je rentrai chez nous et me confiai à Stanley. De toute manière, il n’avait jamais approuvé l’idée d’employer ces personnes. Il me dit simplement: Trouve quelqu’un d’autre.
Je couvrais le loyer, le carburant et l’électricité, et Stanley, qui tenait les comptes, avait rapidement constaté une hausse des factures. La femme de ménage qui était à notre service depuis quatre ans était si soigneuse dans tous les domaines que la présence de deux personnes entraînait une différence significative, notamment pour la lessive, l’électricité et autres frais.
Je consultai le Herald, trouvai une annonce et passai un coup de fil. Un accord fut conclu, et le couple quitta les lieux.
La maison voisine de la nôtre s’était retrouvée inoccupée. Un jour, je remarquai un charpentier y travaillant et l’interrogeai sur l’identité du nouveau locataire. Il m’informa qu’il s’agissait de l’homme à qui j’avais offert un lieu où reposer sa tête. Je compris alors qu’il avait, de toute évidence, cherché un prétexte pour quitter le 196. En effet, le jeune homme qui partageait alors ses repas m’avait confié qu’il observait fréquemment les maisons des environs.
Ainsi, à la fin du mois d’avril, je vis neuf de mes jeunes filles passer devant chez moi pour se rendre au 200, l’homme leur ayant fait une offre plus avantageuse.
Vous pouvez imaginer ce que Stanley et moi avons ressenti. Tout le quartier était indigné par cette affaire. Les voisins estimaient en effet que, si cet homme avait souhaité entreprendre une telle démarche, d’autres maisons étaient disponibles.
Je me consolai toutefois en me disant que, puisque ma mission était d’aider ceux qui croisaient mon chemin, il me fallait peut-être aussi leur apprendre à subvenir à leurs besoins.
L'homme et sa femme perdirent tous deux leur santé et en quelques années ne furent plus en mesure de gravir les quatre étages de leur maison. Ils la vendirent et se retirèrent à la campagne.
Notre femme de ménage avait un fils qui prit la place du jeune homme qui résidait chez nous, ce dernier ayant été incité à partir en même temps que les jeunes filles.
Le 196 fut rapidement à nouveau occupé.
---
- début des Confidences de Marie-Louise
Anglais : I have never acted toward others in expectation of any kind of recognition.
Allemand : Ich habe niemals gegenüber anderen gehandelt, in der Erwartung irgendeiner Anerkennung.
Espagnol : Nunca he actuado hacia los demás esperando algún tipo de reconocimiento.
Italien : Non ho mai agito verso gli altri aspettandomi alcun tipo di riconoscimento.
Portugais : Nunca agi em relação aos outros esperando qualquer tipo de reconhecimento.
Grec : Ποτέ δεν ενήργησα απέναντι στους άλλους με την προσδοκία κάποιας αναγνώρισης.
/image%2F1411453%2F20251020%2Fob_79214b_mlc-devant-cheminee-60.jpg)
/image%2F1411453%2F20251020%2Fob_5c48d0_am.jpg)
/image%2F1411453%2F20250816%2Fob_08c800_bimbo-grok.jpg)

/image%2F1411453%2F20150809%2Fob_4194c5_bistrot-sante-6-180.jpg)