Le 1er septembre 1915
Très respecté Grand Maître Général Spencer Lewis FRC
De New York City, New York
Salutation à un frère °. °
Je visite votre magnifique pays et votre ville en compagnie et camaraderie du suprême (13e degré illuminati AMORC Angleterre) et il me serait très agréable de vous présenter les compliments de l'Ordre RC de France et vous priant de m'accorder une entrevue informelle soit chez vous soit à mon hôtel.
Je suis assuré que le respecté Secrétaire de notre Grande Loge vous a informé de ma visite informelle dans ce pays et du fait je ne serais pas en mesure de rester à New York plus longuement que quelques jours (étant en route avec le Légat Suprême de la Grande Loge canadienne).
Cela me donnera l'occasion et le plaisir d'examiner tous les rapports que vous pourriez avoir préparés et de fournir toute aide ou conseil qui, selon vous, pourrait compléter les instructions pertinentes de notre Conseil Suprême.
S'il est possible, j'aimerais croiser les très Chers Frères de la Grande Loge d'Amérique lors de votre prochain conclave, bien je crains de ne pas pouvoir me faire comprendre aussi bien que je le voudrais. Toutefois nos salutations silencieuses nous serviront comme elles l'ont fait en Angleterre.
Puis-je avoir votre "rendez-vous" en lieu et temps pour l'entrevue à votre plus proche commodité.
Acceptez Frère mes bons vœux de santé et succès pour votre noble travail.
Fraternellement
Hotel Biltmore
New York City
C'est la traduction de la fameuse lettre que s'est écrite Spencer Lewis en 1915 et destinée à être montrée à tous ceux qui lui réclamaient des preuves matérielles de sa filiation à une organisation rosicrucienne européenne.
Spencer Lewis devait parfois leur répondre:
-"Ah, vous allez apprécier que je vous montre cette lettre"...
Evidemment cette lettre (voir le "Faux de Lewis"), n'est qu'une vaste rigolade.
Tout sonne faux...
Imaginons un français ne connaissant pas les USA et débarquant à New-York. Commencerait-il par préciser sa position à un autochtone américain en lui écrivant je suis à "New-York City, Etat de New York"?
Naturellement les précisions comme "illuminati du 13e degré" ne manquent pas de faire sourire un rosicrucien qui sait très tôt qu'on ne met jamais en avant son niveau d'étude, et ceci encore plus au delà du 9e degré. C'est encore plus vrai pour quelqu'un qui aurait atteint le mythique 13e degré, le fameux "sommum bonum"!
Autre sujet de rigolade l'idée que 2 personnes aussi avancées fassent simplement du tourisme en "compagnie et camaraderie"...
Et après diverses naïvetés semblant involontairement laisser apparaître que l'auteur serait en réalité un franc-maçon qui se prend pour un rosicrucien, vient enfin le fin du fin: le choix de l'hôtel Biltmore pour nos illuminatis...
S'il y a bien un endroit qui n'aurait pas attiré des êtres avancés c'était bien alors l'Hôtel Biltmore!
Le lieu était lié à une étrange histoire mafieuse dont on ne parlait qu'à demi mot en 1915: le propriétaire s'était apparemment suicidé en tombant du sommet de l'hôtel mais rien n'avait changé sur le plan administratif puisque son successeur, son ancien secrétaire portait quasiment le même nom et était apparu du jour au lendemain comme le propriétaire réel de l'hôtel...
Bref c'est une histoire holywoodienne au sujet de laquelle un buveur du bistrot pourrait hausser les épaules en se demandant ce qu'elle vient faire ici...
Mais il convient d'observer le logo du papier à en-tête de l'hôtel choisi dans la fameuse lettre...
Le logo n'est pas très net et personne ne s'attend à y trouver une clef...
On distingue vaguement 2 chevaux comme si l'hôtel était non pas au départ le projet faramineux du milliardaire Van der Bilt mais simplement un ancien relais de diligence...
Mais les Habitués devineront sans peine à quoi correspond la substitution des deux chevaux...
Alors qu'il aurait été si facile de trouver du papier à en-tête de l'hôtel, en réalité, Spencer Lewis a poussé l'amusement à créer de toute pièce pour sa fausse lettre un faux logo de l'hôtel Biltmore en lieu et place de celui que tout le monde connaissait comportant le "B" de Cornélius Van der Bilt (voir l'image d'en haut avec une assiette du restaurant de l'Hôtel comportant le fameux "B").
De nos jours, certains exhibent cette fameuse lettre en stigmatisant les deux accents qui manquent au prénom Jérôme suggérant que ce pauvre Lewis s'est piégé tout seul en ne sachant pas qu'en français "Jérôme" s'écrivait en rajoutant 2 accents...
Pour les nouveaux venus au Bistrot qui ne connaissent pas forcément les éléments sous-jacents du rosicrucianisme américain de 1915, voici un petit rappel d'informations:
La lettre est datée du 1er septembre 1915. C'est l'époque du démarrage officiel de l'organisation lewissienne qui suivit la résurgence de 1909.
Le passage d'un haut responsable de la Rose+Croix de France en Amérique était une promesse humaine faite à Toulouse à Spencer Lewis et à laquelle il avait accordé une portée symbolique importante.
Mais la guerre avait commencé et la perspective de voir arriver un officiel européen semblait désespérée. Il fallut en réalité attendre 1917 (voir l'étranger qui demandait du pain).
La lettre est signée d'un certain "Jerome Verdier". Jérôme évoque la latin Hiéronymus et on pense à Sar Hieronymus, tandis que "Verdier" est un passereau, "un oiseau qui vient de France", une allégorie!...
Toute cette histoire pourrait illustrer le récent message sur le voile cachant la vérité...