Le public ignore généralement les luttes d'influences que se livrent certaines organisations sur le grand marché de l'ésotérisme. Le roman "Da Vinci Code" du franc-maçon Dan Brown qui fait mousser certains détails pour en occulter d'autres est souvent en deça de la réalité!
Même dans les dossiers les plus neutres du rosicrucianisme, les luttes d'influences sous-jacentes sont multiples pour, volontairement ou involontairement, récupérer, occulter, ou détourner les héritages traditionnels de la Rose+Croix.
Prenons l'exemple de la résurgence rosicrucienne allemande du 17ème siècle. Les catholiques considèreront qu'il s'agit d'une création des piétistes protestants. Les francs-maçons défendront l'idée qu'il s'agit de la naissance de la Rose+Croix. L'Amorc actuel marginalisera l'influence en mettant en avant la résurgence américaine du 20ème siècle, en revanche le Seti-CRC se démarquera en affirmant clairement que Valentin Andreae fut "l'inventeur de la rose-croix".
Alors que pour Spencer Lewis, Valentin Andreae n'était qu'un simple prête nom de Francis Bacon, le Séti-CRC en fait un personnage principal en écrivant sur son site officiel:
"Curieuse destinée que celle de ce contemplatif qui inventa dans son amour immodéré du Christ une société idéale qu'il fit graviter un temps autour d'un symbole entièrement inventé par lui-même et son cénacle de Tubingen : la Rose+Croix."
La "société idéale" de Andreae nous entraîne sur une piste: "Christianopolis", la ville du Christ, c'est le nom de l'ouvrage de Valentin Andreae.
Objectivement, pour un lecteur moderne, "Christianopolis" est assez décevant. On découvre une utopie communautaire d'un intérêt, somme toute, limité par rapport à la "Nouvelle Atlantide" de Bacon.
Il y a encore quelques années, le livre d'Andreae était difficile à trouver. Une traduction commentée circulait en librairie sous la plume de Jan van Rijckenborgh, un fondateur du "Lectorium Rosicrucianum", un mouvement proposant un rosicrucianisme revu et corrigé à la façon cathare.
Le "Christianopolis" de 1619 devait-il être considéré comme le 4ème manifeste rosicrucien du 17ème siècle après la "Fama Fraternitatis" de 1614, la "Confessio Fraternitatis" de 1615 et les "Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz" de 1616?
Pour l'AMORC de 2005, la réponse était clairement "non" et c'est l'époque où fut diffusée, à grand renfort de publicité, "une charte des devoirs de l'homme" considérée par Omonville comme le "4ème manifeste public de l'histoire de la Rose+Croix" et qui fit d'ailleurs un flop...
Détail curieux: depuis quelques temps une autre traduction, vraisemblablement de source maçonnique, de "Christianopolis" circule sur le net, acollée à la Fama, à la Confessio, etc, et sans mention du traducteur... Fuite? Fuite volontaire? A qui profiterait l'opération?
Mais en réalité, tout cela cache le véritable 4ème manifeste, le vrai, celui qui est paru en 1618...
Il s'agit en fait du "Speculum Sophicum Rhodo-Stauroticum", "le miroir de la sagesse rosicrucienne". Si "Speculum" est simplement le "miroir" et si "Sophicum" se rapporte à "Sophia", la sagesse, en revanche le terme "rhodo stauroticum" est choisi volontairement au lieu de "Rosae+Crucis", afin de rendre plus difficile, ou plus précise, la traduction en utilisant une formule grecque latinisée...
C'est un message: il faudra donc décoder subtilement certaines choses, et, c'est en soi, un avertissement de l'auteur: Theophilus Schweighardt, de son vrai nom Daniel Mögling, médecin, astronome, physicien, alchimiste, bref, le fameux "profil rosicrucien". D'autant qu'il est discret et beaucoup moins connu de nos jours que les membres du groupe des piétistes d'Andreae...
Et pourtant Theophilus Schweighardt, se déclare "Centralleanicus". C'est naturellement un terme qui échappe aux divers dictionnaires et qui ne se révèle qu'à ceux qui veulent vraiment trouver...
Evidemment "Centralleanicus" contient "central" qui est assez parlant et moins évidemment "Eanus" qui est "Janus"... L'auteur se révèle comme le petit Janus central...
Janus, est un personnage à 2 têtes qui joue le rôle du passeur, du conducteur, celui qui ouvre les portes entre deux mondes, l'ouvreur du chemin dans la tradition égyptienne...
N'est-ce pas prometteur?
(suite)