Ce temple protestant de la rue Fénelon à Lyon, dans le 6e arrondissement, a joué un rôle discret dans l'histoire du rosicrucianisme au cours de la période de l'après guerre, lorsque Jeanne Guesdon, revenue des USA, participait à la diffusion en France de la culture rosicrucienne américaine issue de Spencer Lewis.
Un petit groupe de personnes s'était constitué à la fois par cooptation et par des contacts privés avec Jeanne Guesdon.
Il y avait des francs-maçons protestants qui ne trouvaient pas leurs aspirations mystiques tant chez les francs-maçons catholiques, à tendance jésuite, nombreux à Lyon, que chez les athées dissidents. Il y avait des guénoniens à la recherche d'un soufisme occidental. On trouvait aussi des élu-coens se présentant comme martinistes et désireux d'ouvrir à d'autres leurs pratiques. Il y avait aussi des francs-maçons "égyptiens", inspirés par Cagliostro et organisés par Ambelain. D'autres déclaraient chercher le Graal, et appartenaient parfois à des sectes diverses qui ont toujours discrètement fleuri à Lyon comme par exemple ces "gens", des johanistes qui naturellement écrivaient "gens", "jeans".
Tous se sentaient profondément rosicruciens et étudiaient chez eux les monographies dactylographiées par le Grand Maître Jeanne Guesdon et ils se réunissaient le samedi soir, deux fois par mois dans une petite salle de réunion mise à leur disposition par cette "église luthérienne de Lyon". La convocation à 20h25 permettait à chacun de venir un peu avant que le rituel ne commence.
Tout débutait par quelques minutes de méditation dans les vapeurs d'encens et la semi- obscurité de la pièce marquée par un silence impressionnant.
Le Maître se nommait Soror Jeane Blanc et elle pratiquait un rituel très dépouillé préconisé par le successeur de Spencer Lewis: son fils Ralph qui avait inventé les "pronaos", des groupes naissants qui ne nécessitaient qu'un minimum d'organisation.
Jeane Blanc s'exprimait avec une austérité et une sacralité qui inspirait le respect:
-"Gardien! Tous ceux qui se trouvent ici présents sont-ils habilités à participer aux travaux du "Pronaos Lumière"?
C'était ainsi que se nommait l'assemblée qui deviendra quelques années plus tard en 1960, le "Chapitre Jean-Baptiste Vuillermoz".
Le Gardien, un immense gaillard qui mesurait 2m et se nommait Frater Lance lui répondait:
-"Vénérable Maître, j'atteste qu'il en est bien ainsi de tous ceux qui sont ici présents"...
-"Fratres et Sorores, levez vous!"
Le Maître invitait les participants à placer leurs deux mains sur le cœur puis se tournait vers la Rose+Croix qui avait été placée derrière lui, marquant l'est symbolique de la pièce.
Jeane semblait l'activer en traçant dans l'espace ce qui semblait un triangle pointe en haut mais qui était en réalité de symbole rosicrucien de la Croix. Le Maître allumait alors une bougie placée à sa droite puis se tournait vers les participants et tous harmonisaient les aspirations de leur cœur et de leurs pensées en plaçant leur main droite au centre de leur poitrine et l'index de leur main gauche au milieu de leur front.
Pas de masque martiniste, pas de batterie maçonnique, pas d'épée templière, chacun s'asseillait et les travaux du jour commençaient simplement.
Le Maître allumait une petite lampe pour mieux voir son message longuement préparé et le lisait avec une diction parfaite...
La lecture pouvait durer 3/4 d'heure et susciter des échanges inspirés au cours desquels les participants ne se répondaient jamais entre eux. S'adressant seulement et symboliquement au Maître après avoir capté son attention, ils se levaient et effectuaient depuis leur place le même symbole que le Maître avait tracé devant la Rose+Croix puis ils s'exprimaient en commençant toujours par "Vénérable Maître".
Le rituel terminé, Jeanne Blanc éteignait sa bougie à l'aide d'un éteignoir, rangeait ses documents puis se levait pour aller saluer chacun.
L'heure était venue, la réunion s'achevait et chacun veillait à ne pas contrarier la concierge. Il n'y avait pas d'agapes maçonniques, et chacun regagnait sa maison en emportant un trésor au fond de lui...